dimanche 5 juin 2011

Que s'est-il exactement passé le 14 janvier 2011 ?

Histoire de l'intervention de la Brigade Anti Terrorisme
Par Abdelaziz Belkhodja vendredi 3 juin 2011, 12:53

A la suite d'un article publié la semaine dernière (PETRODOLLARS CONTRE REVOLUTION), j'ai reçu des précisions dignes d'être rapportées.

En fait j'avais écris : "La pression, énorme, a fait que Ben Ali a décidé de partir avant que les forces armées et de police du pays ne se retournent contre lui."

Cette phrase a fait réagir un ami qui a décidé de me révéler les dessous d'une affaire qui aurait déjà du être dévoilée aux Tunisiens par la commission créée à cet effet. Mais cette 
Commission ira-t-elle au bout de sa mission? Ce questionnement me commande de vous révéler ce qui m'a été rapporté, vous jugerez de la véracité de ces faits.

Voici donc le témoignage que j'ai reçu, il vaut ce qu'il vaut, tout ce que je peux vous dire est que beaucoup de recoupements faits concordent avec cette version des faits.

Le 14 janvier vers midi, le colonel Tarhouni commandant de la Brigade Anti-Terrorisme (BAT) reçoit un appel du ministre de l'Intérieur qui lui demande des renforts en hommes. Le colonel envoie un groupe d'intervention. Inutile de vous dire que chacun d'entre eux vaut 50 flics normaux. Ces hommes là sont bâtis comme des armoires à glace et sont entraînés comme les SWAT américains.

Ces hommes se déploient dans le ministère et constatent la panique totale des fonctionnaires. Les manifestants sont à quelques mètres à peine des portes. Il n'y a même pas la place pour manœuvrer. Pour ne pas avoir à gérer une panique si les manifestants investissent le ministère, l'unité de la BAT vide le hall. Les ordres du colonel sont catégoriques : ne pas tirer sur les citoyens.

Entre la facade du ministère et les manifestants, un rideau de BOP (Brigades de l'Ordre Public, équivalent des CRS français et autant haïs par ailleurs), des BOP beaucoup plus craintif qu'agressifs, la peur se lit dans leurs yeux, entre deux "dégage" les manifestants scandent : "Dekhiliya, dekhiliya yelli tohkom fikom trabelsia", la situation est honteuse, à la limite du dramatique pour les policiers dont certains, des fenêtres du ministère, saluent la foule. Les BOP ont des consignes strictes dictées par le discours présidentiel de la veille : ne pas tirer sur les manifestants.

Au Palais présidentiel aussi c'est la panique, les informations qui arrivent sont très négatives, tout le pays est en ébullition, les manifestants du Kram veulent marcher vers le palais présidentiel et à Tunis, avenue Habib Bourguiba, ils sont plus de 60 000 devant le ministère de l'Intérieur, véritable symbole du pouvoir de Ben Ali. A hammamet et en banlieue, les maisons des proches du régime sont saccagées. Les discours, les meurtres, les arrestations, la propagande, etc n'ont servit à rien, un seul mot d'ordre pour tous les Tunisiens: "dégage", et le monde entier à les yeux rivés sur la Tunisie. La France commence à vivre une polémique sur MAM et les USA défendent à Ben Ali de toucher à l'Internet.

Décision est prise par plusieurs proches du régime de quitter le pays, avions privés et lignes régulières sont sollicités, les Trabelsi et belles familles vont à l'aéroport.

Au QG de la BAT, à Bouchoucha, le Colonel Tarhouni est au téléphone avec le commissaire de l'aéroport et tout à coup celui-ci lui dit que les Trabelsi s'apprêtent à quitter le pays. Immédiatement, le Colonel réunit quelques hommes et leur annonce la nouvelle. La plupart d'entre eux (quelques-uns hésitent) sont d'accord pour aller tenter de les arrêter. Le commandos prend tout le matériel nécessaire, passe à l'armurerie et se dirige vers l'aéroport.

En arrivant, les BAT apprennent que la famille est deja sur le tarmac, en train de monter dans le bus qui va les emmener vers un avion, ils disent aux forces de sécurité de l'aéroport qu'ils ont pour "ta3limettes" (consignes) de protéger les Trabelsi. Ils traversent le salon d'honneur vers le tarmac puis prennent d'assaut le bus, quelques Trabelsi fuient, mais la plupart sont arrêtés, on leur enlève leurs portables et ils sont reconduits au salon d'honneur. Là, les commandos vérifient les papiers et s'aperçoivent que beaucoup d'identités ne concordent pas (belle famille, etc), ils recomposent la famille pendant que certains membres de la brigade recherchent les plus connus des Trabelsi, Imed, Moez et Belhassen. Mais ces trois derniers ne sont pas à l'aéroport. Belhassen est parti par mer et Moez est deja en Algérie depuis la veille. 

Les commandos de la BAT découvrent par contre Moncef sous un bureau  avec un pistolet Berreta et l'emmènent au Salon d'honneur. Quelques minutes plus tard, le commissaire de l'aéroport, qui est à côté des commandos reçoit un appel de Imed Trabelsi. En voyant son nom sur l'écran du téléphone, les hommes de la BAT ordonnent au commissaire de lui dire de venir, de lui dire que tout est calme. Imed, qui est deja à l'aéroport, tombe dans le piège, les gars du BAT l'accueillent devant le salon d'honneur et lui disent qu'ils sont là pour le protéger. Imed sort en bombant le torse. Il rejoint les autres au Salon d'honneur et là, il découvre que tout le monde est pris en otage. Tarhouni leur redonne alors leurs téléphones portables : il est temps que la prise d'otage soit communiquée à Ben Ali. Les otages appellent leur famille, Leila etc.

À la Présidence, la panique augmente, Seriati ne comprends rien. Il appelle Tarhouni qui à le bon réflexe de lui répondre :
- "ce sont les consignes"
Seriati demande :
- "Les consignes de qui?" et Tarhouni raccroche.

Plusieurs appels similaires ont lieu, non seulement de Seriati, mais de la plupart des gros bonnets de la sécurité. Seriati et Ben Ali ne comprennent plus rien, ils pensent qu'il y a du complot dans l'air. La sécurité ne peut plus être assurée. La décision est prise de préparer le départ de Ben Ali et sa famille proche. Sériati appelle également le ministre de la défense pour lui faire part de la situation. L'armée décide d'envoyer un commando héliporté de cinq appareils pour reprendre le contrôle de la situation.

Pendant ce temps, Tarhouni, qui a reçu des menaces de Seriati et des autres officiers, appelle les chefs des autres unités d'élite. Il obtient au téléphone le commandant de l'Unité Spéciale de la Garde Nationale (USGN), un autre corps d'élite, pratiquement le meilleur avec la BAT, basé depuis décembre à la caserne de l'Aouina, donc à 5 minutes des BAT. Son Commandant et ses hommes se rangent du côté des rebelles et décident de les rejoindre. Tarhouni appelle ensuite un officier du GIP (Groupe d'Intervention et de Protection, attaché à la Présidence), mais celui-ci ne comprend pas ce que lui dit Tarhouni. Il croit qu'il le défie alors que celui-ci lui dit : "Si tu es un homme, viens nous rejoindre".

Entre temps, la situation s'aggrave pour Seriati : lorsqu'il annonce aux hommes du GIP qu'ils vont escorter Ben Ali à l'aéroport, 50 hommes sur 70 refusent ! Seriati en est malade, lui qui a mis sous sa coupe toute la sécurité du pays voit ses propres hommes lui désobéir. La panique est proche. Ben Ali lui, sait que la BAT est à l'aéroport, il sait que ces hommes là sont capable de tout !

La situation est de plus en plus intenable. Seriati, qui ne sait pas que les USGN ont aussi fait défection, pousse Ben Ali à quitter le pays, "le temps de comprendre ce qui se passe et de faire le ménage". Seriati est sincère, c'est le fidèle parfait, en bon soldat, il ne risque pas de trahir son maître, tout comme l'armée d'ailleurs, totalement fidèle à l'Etat (malgré les rumeurs de refus d'obéir aux ordres), c'est d'ailleurs bien ce que l'on demande à une armée. 

Pendant ce temps les unités spéciales apprennent que 3 avions, sur le tarmac de l'aéroport, sont susceptibles de transporter des Trabelsi. Les USGN, rebelles avec la BAT investissent les pistes pour bloquer les vols. Ils montent dans les avions et vérifient les identités. Il paraîtrait qu'ils auraient trouvé un proche de Ben Ali, peut-être l'une de ses filles ou quelqu'un d'autre. Les hommes appellent alors Tarhouni qui leur dit de laisser partir, c'est les Trabelsi qu'il veut arrêter. 

Cette personne aurait alors appellé son père qui, en flic averti, lui demande la couleur des uniformes. Sirine lui aurait dit : "verts". Ben Ali, qui jusque là n'avait que les renseignements remis par Seriati (qui savait que la BAT avait fait défection mais pas l'USGN) pense que Seriati joue double-jeu. En tout cas, il ne lui fait plus confiance. Seriati en est malade.

La situation est désormais très grave car l'USGN, basé à la caserne de l'Aouina (adjacente à l'aéroport), est à quelques minutes du Boeing 737 de la Présidence. Ainsi, les hommes de la BAT sont d'un côté de la caserne, ceux de l'USGN de l'autre. La fuite de Ben Ali va se faire dans des conditions de sécurité particulièrement faibles. Ben Ali est pour la première fois de sa vie confronté à cette situation et il en éprouve une peur bleue.

Les hélicoptères de l'armée, destinés au départ à attaquer la BAT, sont dirigés vers l'Aouina, ils atteriront entre la piste de décollage de l'avion présidentiel et le reste de l'aéroport pour former un mur de protection contre BAT et USGN.

L'armée se déploie dans la caserne de l'Aouina pour protéger Ben Ali qui arrive, escorté de Carthage à l'Aouina par les 20 "ninja" du GIP. Dès que le Boeing est prêt (le commandant Cheikhrouhou est hésitant à décoller sans plan de vol), il sort du hangar et se dirige vers le tarmac, les "ninja" du GIP escortent l'avion présidentiel jusque sur la piste et roulent même de chaque côté de l'avion jusqu'au décollage : ils savent de quoi les unités spéciales sont capables, ils connaissent leur armement et veulent protéger Ben Ali jusqu'au décollage. Une fois en vol et assuré de sa sécurité, Ben Ali, qui comme on l'a vu, doute de la fidélité de Seriati, appelle le ministre de la Défense et lui demande de l'arrêter, ce qui sera fait par l'armée à l'aéroport.

L'avion présidentiel se dirige alors, sans plan de vol (il le recevra en plein vol) vers la Libye, de là, il fera cap à l'est vers l'Arabie Saoudite qui est avertie de son arrivée.

À la Présidence, à Carthage, l'officier de réserve du GIP essaye d'appeler Seriati, mais ce dernier ne répond pas puisqu'il est arrêté et que son téléphone a été confisqué. L'officier du GIP ne comprends rien, il appelle Tarhouni qui lui apprend que Ben Ali est parti et que Seriati est arrêté par l'armée. L'officier du GIP lance alors immédiatement, selon la procédure légale, l'opération nécessaire pour assurer la continuité de l'Etat et fait venir à la Présidence, d'une façon un peu musclée et interprétée de différente manières, Mbazaa, Ghannouchi et Kallel qui feront devant les caméras de télévision la déclaration de vacance du pouvoir.

Au même moment, à l'aéroport, Tarhouni remet les Trabelsi à l'armée et les deux brigades spéciales (USGN et BAT) quittent les lieux. Mission accomplie.

Aujourd'hui, les hommes des brigades spéciales déclarent qu'ils n'ont joué aucun rôle dans cette révolution, que simplement, ils se sont substitués au peuple pour faire ce que tout le monde voulait.

L'histoire de ces hommes ne doit pas rester méconnue. 
Par un extraordinaire hasard dont seul Dieu à le secret, ce sont probablement les unités spéciales, si chères à Ben Ali, qui ont activé son départ.

J'espère avoir transcrit avec fidélité ce qui m'a été rapporté. Les erreurs sont très possibles, je n'ai pas eu assez de témoignages pour faire tous les recoupements nécessaires. Il m'a semblé que ces faits, en l'état, méritaient d'être publiés en attendant la conclusion de la Commission d'établissement des faits.

A.B.

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